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Misanthrope mesuré (inclus dans Conversaciones con Concha)   

Avec le critère exposé dans Alexandrine francais et Misanthrope nous travaillons la métrique et d'autres choses. On trouve en Internet le text qui suive, dont il faut récupérer le vers original.

Acte I     Scène I     Philinte, Alceste
 

Philinte
Qu'est−ce donc ? Qu'avez−vous ?

Alceste
Laissez−moi, je vous prie.

Philinte
Mais encor dites−moi quelle bizarrerie...

Alceste
Laissez−moi là, vous dis−je, et courez vous cacher.

Philinte
Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.

Alceste
Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

Philinte
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre,
Et quoique amis enfin, je suis tout des premiers...

Alceste
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici profession de l'être ;
Mais après ce qu'en vous je viens de voir paroître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des coeurs corrompus.

Philinte
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?

Alceste
Allez, vous devriez mourir de pure honte ;
Une telle action ne sauroit s'excuser,
Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;
De protestations, d'offres et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements ;
Et quand je vous demande après quel est cet homme,
A peine pouvez−vous dire comme il se nomme ;
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent.
Morbleu ! c'est une chose indigne ; lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme ;
Et si, par un malheur, j'en avois fait autant,
Je m'irois, de regret, pendre tout à l'instant.

Philinte
Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable,
Et je vous supplierai d'avoir pour agréable
Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plaît.

Alceste
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !

Philinte
Mais, sérieusement, que voulez−vous qu'on fasse ?

Alceste
Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur.

Philinte
Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

Alceste
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.
Quel avantage a−t−on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n'êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d'un coeur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence ;
Je veux qu'on me distingue ; et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.

Philinte
Mais quand on est du monde, il faut bien que l'on rende
Quelques dehors civils que l'usage demande.

Alceste
Non, vous dis−je, on devroit châtier, sans pitié,
Ce commerce honteux de semblants d'amitié.
Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre coeur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments. Philinte
Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendroit ridicule et seroit peu permise ;
Et parfois, n'en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu'on a dans le coeur.
Seroit−il à propos et de la bienséance
De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense ?
Et quand on a quelqu'un qu'on hait ou qui déplaît,
Lui doit−on déclarer la chose comme elle est ?

Alceste
Oui.

Philinte
Quoi ? vous iriez dire à la vieille Emilie
Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,
Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun ?

Alceste
Sans doute.

Philinte
A Dorilas, qu'il est trop importun,
Et qu'il n'est, à la cour, oreille qu'il ne lasse
A conter sa bravoure et l'éclat de sa race ?

Alceste
Fort bien. Philinte
Vous vous moquez.

Alceste
Je ne me moque point,
Et je vais n'épargner personne sur ce point.
Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile :
J'entre en une humeur noire, et un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ;
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain.

Philinte
Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage,
Je ris des noirs accès où je vous envisage,
Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris,
Ces deux frères que peint l'Ecole des maris,
Dont...

Alceste
Mon Dieu ! laissons là vos comparaisons fades.

Philinte
Non : tout de bon, quittez toutes ces incartades.
Le monde par vos soins ne se changera pas ;
Et puisque la franchise a pour vous tant d'appas,
Je vous dirai tout franc que cette maladie,
Partout où vous allez, donne la comédie,
Et qu'un si grand courroux contre les moeurs du temps
Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.

Alceste
Tant mieux, morbleu ! tant mieux, c'est ce que je demande,
Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande :
Tous les hommes me sont à tel point odieux,
Que je serois fâché d'être sage à leurs yeux.

Philinte
Vous voulez un grand mal à la nature humaine !
Alceste
Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine.

Philinte
Tous les pauvres mortels, sans nulle exception,
Seront enveloppés dans cette aversion ?
Encore en est−il bien, dans le siècle où nous sommes...

Alceste
Non : elle est générale, et je hais tous les hommes :
Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
De cette complaisance on voit l'injuste excès
Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès :
Au travers de son masque on voit à plein le traître ;
Partout il est connu pour tout ce qu'il peut être ;
Et ses roulements d'yeux et son ton radouci
N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici.
On sait que ce pied plat, digne qu'on le confonde,
Par de sales emplois s'est poussé dans le monde,
Et que par eux son sort de splendeur revêtu
Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne,
Son misérable honneur ne voit pour lui personne ;
Nommez−le fourbe, infâme, et scélérat maudit,
Tout le monde en convient, et nul n'y contredit.
Cependant sa grimace est partout bienvenue :
On l'accueille, on lui rit, partout il s'insinue ;
Et s'il est, par la brigue, un rang à disputer,
Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter.
Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures,
De voir qu'avec le vice on garde des mesures ;
Et parfois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l'approche des humains.

Philinte
Mon Dieu, des moeurs du temps mettons−nous, moins en peine,
Et faisons un peu grâce à la nature humaine ;
Ne l'examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.
Il faut, parmi le monde, une vertu traitable ;
A force de sagesse, on peut être blâmable ;
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Cette grande roideur des vertus des vieux âges
Heurte trop notre siècle et les communs usages ;
Elle veut aux mortels trop de perfection :
Il faut fléchir au temps sans obstination ;
Et c'est une folie à nulle autre seconde
De vouloir se mêler de corriger le monde.
J'observe, comme vous, cent choses tous les jours,
Qui pourroient mieux aller, prenant un autre cours ;
Mais quoi qu'à chaque pas je puisse voir paroître,
En courroux, comme vous, on ne me voit point être ;
Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,
J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font ;
Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile.

Alceste
Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonne si bien,
Ce flegme pourra−t−il ne s'échauffer de rien ?
Et s'il faut, par hasard, qu'un ami vous trahisse,
Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice,
Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous,
Verrez−vous tout cela sans vous mettre en courroux ?

Philinte
Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure
Comme vices unis à l'humaine nature ;
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé
De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.

Alceste
Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler,
Sans que je sois... Morbleu ! je ne veux point parler,
Tant ce raisonnement est plein d'impertinence.

Philinte
Ma foi ! vous ferez bien de garder le silence.
Contre votre partie éclatez un peu moins,
Et donnez au procès une part de vos soins.

Alceste
Je n'en donnerai point, c'est une chose dite.

Philinte
Mais qui voulez−vous donc qui pour vous sollicite ?

Alceste
Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l'équité.

Philinte
Aucun juge par vous ne sera visité ? Alceste
Non. Est−ce que ma cause est injuste ou douteuse ?

Philinte
J'en demeure d'accord ; mais la brigue est fâcheuse,
Et...

Alceste
Non ; j'ai résolu de n'en pas faire un pas.
J'ai tort, ou j'ai raison.

Philinte
Ne vous y fiez pas.

Alceste
Je ne remuerai point.

Philinte
Votre partie est forte,
Et peut, par sa cabale, entraîner...

Alceste
Il n'importe.

Philinte
Vous vous tromperez.

Alceste
Soit. J'en veux voir le succès. Philinte
Mais...

Alceste
J'aurai le plaisir de perdre mon procès.

Philinte
Mais enfin...

Alceste
Je verrai, dans cette plaiderie,
Si les hommes auront assez d'effronterie,
Seront assez méchants, scélérats et pervers,
Pour me faire injustice aux yeux de l'univers.

Philinte
Quel homme !

Alceste
Je voudrois, m'en coûtât−il grand'chose
Pour la beauté du fait avoir perdu ma cause.

Philinte
On se riroit de vous, Alceste, tout de bon,
Si l'on vous entendoit parler de la façon.

Alceste
Tant pis pour qui riroit. Philinte
Mais cette rectitude
Que vous voulez en tout avec exactitude,
Cette pleine droiture, où vous vous renfermez,
La trouvez−vous ici dans ce que vous aimez ?
Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble,
Vous et le genre humain si fort brouillés ensemble,
Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux,
Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux ;
Et ce qui me surprend encore davantage,
C'est cet étrange choix où votre coeur s'engage.
La sincère Eliante a du penchant pour vous,
La prude Arsinoé vous voit d'un oeil fort doux :
Cependant à leurs voeux votre âme se refuse,
Tandis qu'en ses liens Célimène l'amuse,
De qui l'humeur coquette et l'esprit médisant
Semble si fort donner dans les moeurs d'à présent.
D'où vient que, leur portant une haine mortelle,
Vous pouvez bien souffrir ce qu'en tient cette belle ?
Ne sont−ce plus défauts dans un objet si doux ?
Ne les voyez−vous pas ? ou les excusez−vous ?

Alceste
Non, l'amour que je sens pour cette jeune veuve
Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve,
Et je suis, quelque ardeur qu'elle m'ait pu donner,
Le premier à les voir ; comme à les condamner.
Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon foible, elle a l'art de me plaire :
J'ai beau voir ses défauts, et j'ai beau l'en blâmer,
En dépit qu'on en ait, elle se fait aimer ;
Sa grâce est la plus forte ; et sans doute ma flamme
De ces vices du temps pourra purger son âme.

Philinte
Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu.
Vous croyez être donc aimé d'elle ?

Alceste
Oui, parbleu !
Je ne l'aimerois pas, si je ne croyois l'être.

Philinte
Mais si son amitié pour vous se fait paroître,
D'où vient que vos rivaux vous causent de l'ennui ?

Alceste
C'est qu'un coeur bien atteint veut qu'on soit tout à lui,
Et je ne viens ici qu'à dessein de lui dire
Tout ce que là−dessus ma passion m'inspire.

Philinte
Pour moi, si je n'avois qu'à former des desirs,
La cousine Eliante auroit tous mes soupirs ;
Son cur, qui vous estime, est solide et sincère,
Et ce choix plus conforme étoit mieux votre affaire. Alceste
Il est vrai : ma raison me le dit chaque jour ;
Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour.

Philinte
Je crains fort pour vos feux ; et l'espoir où vous êtes
Pourroit...
 Scène II

Oronte, Alceste, Philinte

Oronte
J'ai su là−bas que, pour quelques emplettes,
Eliante est sortie, et Célimène aussi ;
Mais comme l'on m'a dit que vous étiez ici,
J'ai monté pour vous dire, et d'un coeur véritable,
Que j'ai conçu pour vous une estime incroyable,
Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis
Dans un ardent desir d'être de vos amis.
Oui, mon coeur au mérite aime à rendre justice,
Et je brûle qu'un noeud d'amitié nous unisse :
Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité,
N'est pas assurément pour être rejeté.
          (En cet endroit Alceste paroît tout rêveur, et semble
          'entendre pas qu'Oronte lui parle.)
C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse.

Alceste
A moi, Monsieur ?

Oronte
A vous. Trouvez−vous qu'il vous blesse ?

Alceste
Non pas ; mais la surprise est fort grande pour moi,
Et je n'attendois pas l'honneur que je reçoi. Oronte
L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre,
Et de tout l'univers vous la pouvez prétendre.

Alceste
Monsieur...

Oronte
L'Etat n'a rien qui ne soit au−dessous
Du mérite éclatant que l'on découvre en vous.

Alceste
Monsieur...

Oronte
Oui, de ma part, je vous tiens préférable,
A tout ce que j'y vois de plus considérable.

Alceste
Monsieur...

Oronte
Sois−je du ciel écrasé, si je mens !
Et pour vous confirmer ici mes sentiments,
Souffrez qu'à coeur ouvert, Monsieur, je vous embrasse,
Et qu'en votre amitié je vous demande place.
Touchez là, s'il vous plaît. Vous me la promettez.
Votre amitié ?. Alceste
Monsieur...

Oronte
Quoi ? vous y résistez ?

Alceste
Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire ;
Mais l'amitié demande un peu plus de mystère,
Et c'est assurément en profaner le nom
Que de vouloir le mettre à toute occasion.
Avec lumière et choix cette union veut naître ;
Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ;
Et nous pourrions avoir telles complexions,
Que tous deux du marché nous nous repentirions.

Oronte
Parbleu ? c'est là−dessus parler en homme sage,
Et je vous en estime encore davantage :
Souffrons donc que le temps forme des noeuds si doux ;
Mais, cependant, je m'offre entièrement à vous ;
S'il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture,
On sait qu'auprès du Roi je fais quelque figure ;
Il m'écoute ; et dans tout, il en use, ma foi !
Le plus honnêtement du monde avecque moi.
Enfin je suis à vous de toutes les manières ;
Et comme votre esprit a de grandes lumières,
Je viens, pour commencer entre nous ce beau noeud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,
Et savoir s'il est bon qu'au public je l'expose.

Alceste
Monsieur, je suis mal propre à décider la chose ;
Veuillez m'en dispenser.

Oronte
Pourquoi ?

Alceste
J'ai le défaut
D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faut.

Oronte
C'est ce que je demande, et j'aurois lieu de plainte,
Si, m'exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.

Alceste
Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien.

Oronte
Sonnet... C'est un sonnet. L'espoir... C'est une dame
Qui de quelque espérance avoit flatté ma flamme.
L'espoir... Ce ne sont point de ces grands vers pompeux,
Mais de petits vers doux, tendres et langoureux.
(A toutes ces interruptions il regarde Alceste.) Alceste
Nous verrons bien.

Oronte
L'espoir... Je ne sais si le style
Pourra vous en paroître assez net et facile,
Et si du choix des mots vous vous contenterez.

Alceste
Nous allons voir, Monsieur.

Oronte
Au reste, vous saurez
Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire.

Alceste
Voyons, Monsieur ; le temps ne fait rien à l'affaire.

Oronte
L'espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps notre ennui ;
Mais, Philis, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !

Philinte
Je suis déjà charmé de ce petit morceau.

Alceste
Quoi ? vous avez le front de trouver cela beau ? Oronte
Vous eûtes de la complaisance ;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l'espoir.

Philinte
Ah ! qu'en termes galants ces choses−là sont mises !
Alceste, bas.
Morbleu ! vil complaisant, vous louez des sottises ?

Oronte
S'il faut qu'une attente éternelle
Pousse à bout l'ardeur de mon zèle,
Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m'en peuvent distraire :
Belle Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours.

Philinte
La chute en est jolie, amoureuse, admirable.

Alceste, bas.
La peste de ta chute ! Empoisonneur au diable,
En eusses−tu fait une à te casser le nez !

Philinte
Je n'ai jamais ouï de vers si bien tournés. Alceste
Morbleu ! ...

Oronte
Vous me flattez, et vous croyez peut−être...

Philinte
Non, je ne flatte point.

Alceste, bas.
Et que fais−tu donc, traître ?

Oronte
Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité :
Parlez−moi, je vous prie, avec sincérité.

Alceste
Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et sur le bel esprit nous aimons qu'on nous flatte.
Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disois, en voyant des vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ;
Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu'on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s'expose à jouer de mauvais personnages. Oronte
Est−ce que vous voulez me déclarer par là
Que j'ai tort de vouloir... ?

Alceste
Je ne dis pas cela.
Mais je lui disois, moi, qu'un froid écrit assomme,
Qu'il ne faut que ce foible à décrier un homme,
Et qu'eût−on, d'autre part, cent belles qualités,
On regarde les gens par leurs méchants côtés.

Oronte
Est−ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire ?

Alceste
Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettois aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.

Oronte
Est−ce que j'écris mal ? et leur ressemblerois−je ?

Alceste
Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disois−je,
Quel besoin si pressant avez−vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre.
Croyez−moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public ces occupations ;
Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que dans la cour vous avez d'honnête homme,
Pour prendre, de la main d'un avide imprimeur,
Celui de ridicule et misérable auteur.
C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre.

Oronte
Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis−je savoir ce que dans mon sonnet... ?

Alceste
Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont point naturelles.
Qu'est−ce que Nous berce un temps notre ennui ?
Et que Rien ne marche après lui ?
Que Ne vous pas mettre en dépense,
Pour ne me donner que l'espoir ?
Et que Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours ?
Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité :
Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.
Le méchant goût du siècle, en cela, me fait peur.
Nos pères, tous grossiers, l'avoient beaucoup meilleur,
Et je prise bien moins tout ce que l'on admire,
Qu'une vieille chanson que je m'en vais vous dire :
Si le Roi m'avoit donné
Paris, sa grand'ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma mie,
Je dirois au roi Henri :
"Reprenez votre Paris :
J'aime mieux ma mie, au gué !
J'aime mieux ma mie."
La rime n'est pas riche, et le style en est vieux :
Mais ne voyez−vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces colifichets, dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là toute pure ?
Si le Roi m'avoit donné
Paris ; sa grand'ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma mie,
Je dirois au roi Henri :
"Reprenez votre Paris :
J'aime mieux ma mie, au gué !
J'aime mieux ma mie."
 
Voilà ce que peut dire un coeur vraiment épris.
(A Philinte.)
Oui, Monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits,
J'estime plus cela que la pompe fleurie
De tous ces faux brillants, où chacun se récrie.

Oronte
Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons. Alceste
Pour les trouver ainsi vous avez vos raisons ;
Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres,
Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.

Oronte
Il me suffit de voir que d'autres en font cas.

Alceste
C'est qu'ils ont l'art de feindre ; et moi, je ne l'ai pas.

Oronte
Croyez−vous donc avoir tant d'esprit en partage ?

Alceste
Si je louois vos vers, j'en aurois davantage.

Oronte
Je me passerai bien que vous les approuviez.

Alceste
Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez.

Oronte
Je voudrois bien, pour voir, que, de votre manière ;
Vous en composassiez sur la même matière. Alceste
J'en pourrois, par malheur, faire d'aussi méchants ;
Mais je me garderois de les montrer aux gens.

Oronte
Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance...

Alceste
Autre part que chez moi cherchez qui vous encense.

Oronte
Mais, mon petit Monsieur, prenez−le un peu moins haut.

Alceste
Ma foi ! mon grand Monsieur, je le prends comme il faut.
Philinte, se mettant entre−deux.
Eh ! Messieurs, c'en est trop ; laissez cela, de grâce.

Oronte
Ah ! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place.
Je suis votre valet, Monsieur, de tout mon coeur.

Alceste
Et moi, je suis, Monsieur, votre humble serviteur.
Scène III

Philinte, Alceste

Philinte
Hé bien ! vous le voyez : pour être trop sincère,
Vous voilà sur les bras une fâcheuse affaire ;
Et j'ai bien vu qu'Oronte, afin d'être flatté...

Alceste
Ne me parlez pas.

Philinte
Mais...

Alceste
Plus de société.

Philinte
C'est trop...

Alceste
Laissez−moi là.

Philinte
Si je...

Alceste
Point de langage. Philinte
Mais quoi... ?

Alceste
Je n'entends rien.

Philinte
Mais...
Alceste,
Encore ?

Philinte
On outrage...

Alceste
Ah ! parbleu ! c'en est trop ; ne suivez point mes pas.

Philinte
Vous vous moquez de moi, je ne vous quitte pas.

Philinte    Qu'est−ce donc ? Qu'avez−vous ?
Alceste                                             Laissez−moi, je vous prie.
Philinte    Mais encor dites−moi          quelle bizarrerie...
Alceste    Laissez−moi là, vous dis−je, et courez vous cacher.
Philinte    Mais on entend les gens,     au moins, sans se fâcher.
Alceste    Moi, je veux me fâcher,       et ne veux point entendre.
Philinte    Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre,
               Et quoique amis enfin,         je suis tout des premiers...
Alceste    Moi, votre ami ? Rayez        cela de vos papiers.
              J'ai fait jusques ici                profession de l'être;
              Mais après ce qu'en vous     je viens de voir paroître,
              Je vous déclare net              que je ne le suis plus,
               Et ne veux nulle place         en des coeurs corrompus.
Philinte    Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?
 
 
Alceste
Allez, vous devriez            mourir de pure honte ;
Une telle action                 ne sauroit s'excuser,
Et tout homme d'honneur  s'en doit scandaliser.
Je vous vois accabler         un homme de caresses,
Et témoigner pour lui         les dernières tendresses ;
De protestations,               d'offres et de serments,
Vous chargez la fureur       de vos embrassements ;
Et quand je vous demande après quel est cet homme,
A peine pouvez−vous         dire comme il se nomme ;
Votre chaleur pour lui         tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez,          à moi, d'indifférent.
Morbleu ! c'est une chose    indigne ; lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi               jusqu'à trahir son âme ;
Et si, par un malheur,          j'en avois fait autant,
Je m'irois, de regret,            pendre tout à l'instant.
 
 

 


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